Néva

Ces deux syllabes, douces à prononcer, mais dont le sens, si elles en contiennent un, est difficile à percevoir pour un Français, forment le nom d’un homme étrange, qui vint passer hier soir un quart d’heure dans notre salle de rédaction.

Imaginez tout d’abord une chevelure blond fauve, longue, retombant bouclée sur une tunique blanche, simplement serrée à la taille. Sous ses cheveux se développe un large front d’où descend un nez dont la ligne est élégante. Des yeux vifs animent cette face régulière se terminant par une barbe soyeuse.

Tel est Meva, de son nom, Joseph Salomonson, qui provoque par les rues de Biarritz la curiosité des grands et surtout des petits avec sa besace légère.

Qu’est Meva? Que fait-il? D’où vient-il? Où va-t-il?

C’est un ancien consul de Belgique, âgé de 57 ans, né aux Indes néerlandaises, un marchand de Java qui, il y a quelques années, eut une révélation, entendit, si l’on peut ainsi s’exprimer, entendit des voix naturelles l’engageant à se rapprocher de l’état de nature, à vivre selon elles, en homme civilisé.

Meva ne mange que des fruits et des légumes crus ; il ne s’alimente avec quoi que ce soit provenant d’un animal; il ne boit jamais, pas même de l’eau, Cet homme détient le record de l’hydrophobie, suivant l’étymologie du mot, car depuis le 1er septembre 1901, «”la moindre goutte d’eau ne s’est approchée de ses lèvres”. Pends-toi, mon vieux Ponchon, Meva a même horreur du vin !

Que fait-il?

Meva court le monde faisant du prosélitisme en faveur de la diète, prêchant la sobriété, les avantages du nu-tête, du vêtement léger et du sommeil sur la dure. De temps en temps, il conférencie. L’autre soir, Meva discourut à l’Automobile-Club; nos chauffeurs ne s’ennuyèrent pas.

Où va-t-il?

Partout où sa fantaisie le mène. Devant l’autorité, Meva exhibe des passe-ports réguliers, et des moyens d’existence valables. i [sic!] vous le rencontrez, allez à son devant, il ne vous donnera que de bons conseils, vous proposera sa brochure, où vous retrouverez sa belle tète de brave homme. Et quand il prendra courtoisement congé de vous, vous ne manquerez pas de lui souhaiter: “Bonne Chance!”

La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz (Biarritz), 13. Jahrg., 1. September 1905, Nr. 908, S. 2. Online