Un apôtre de la vie naturelle

Comment l’homme, selon Joseph Salomonson, dit Méva, pourra retrouver le bonheur et revivre les beaux jours du paradis perdu.

Par ces temps de scepticisme à outrance, qui donc osait prétendre que toute foi naïve et désintéressée était morte, qu’aucun de nous, dans le dessein de convertir les autres, ne pouvait plus prêcher le renoncement de soi-même et-le culte de l’apostolat? Un homme existe, dont les théories simples et
frustes nous ont, hier, convaincu de ce qu’une telle affirmation pouvait avoir d’inexact. Au sein de notre civilisalion raffinée, prêchant d’exemple, il passe, candide, illuminé, ainsi qu’un rêve d’un autre âge. Sur tous les chemins de la terre qu’il veut régénérer à son image, il enseigne le retour à l’enfance du monde, à la vie naturelle, au primitif instinct. Le vrai nom de cet apôtre est Joseph Salomonson; il se fait appeler Méva.

Quel est cet homme? D’où vient-il? Chacun se le demande. Arrivé depuis quelques jours à Paris, ses longs cheveux flottant sur ses épaules, ses pieds nus chaussés de sandales, vêtu d’une robe blanche, un long bâton à la main, il va, parcourant nos rues, indifférent aux quolibets des uns, aux railleries des autres, soulevant partout la curiosité sur son passage. Les civilisés regardent avec étonnement cet Homme-Nature, plus près qu’eux peut-être du vrai bonheur et de la vérité. Parfois un agent l’arrète, lui reprochant de provoquer des rassemblements par le ridicule de son costume: “En quoi mon vêtement est-il plus ridicule que le vôtre?” réponâ doucement Méva. Et il passe, souriant à son rêve intérieur, continuant son chemin.

Car Méva ‘est un réformateur de la vie actuelle.

Il a des idées, une doctrine, À ceux qui veulent l’entendre, il enseigne qu’en revenant presque à l’état de nature, l’homme peut retrouver le bonheur et revivre les beaux jours du paradis perdu.

Végétalien

Le premier principe de sa théorie est celui d’une alimentation rationnelle. “Ne soyons pas carnassiers”, affirme ce sage; bannissons soigneusement de notre nourriture tout ce qui touche à l’animal. Dans un corps pur naîtra l’âme pure; la première condition requise pour arriver à ce but est
de ne manger exclusivement que des végétaux.

Méva n’est pas toutefois végétarien; il est végétalien. La doctrine végétarienne est pour lui presque une hérésie, car les oeufs, le lait et tous ses tributaires, beurre, fromage et tous produits lactés, sont encore, par certains côtés, une nourritüre animale et rien de l’animal ne doit entrer en nous.

Nos repas seront composés des seuls produits du sol, fruits et légumes, que nous devrons de préférence manger crus. Les fruits, les légumes crus joignent aux sucs nutritifs de la terre un jus savoureux capable de faire oublier la soif à jamais.

Toute autre substance étrangère devient par cela même inutile. Le sel, produit minéral, est banni de notre alimentation par Salomonson, qui ne craint pas de voir-en lui le pire fléau de l’humanité : “Care sel est le diable!” s’écrie-t-il. Pour sauver le monde il faut combattre le sel et le bonheur jaillira!” Salomonson, depuis plus de cinq ans, a suivi ces principes à la lettre. I s’en est toujours bien trouvé. Après avoir maigri de quarante livres en deux ans, l’observation minutieuse de sa théorie naturelle lui a permis de réaliser en lui-même le parfait équilibre de l’esprit et du corps. Il a cinquante-trois ans. “Mais je possède, dit-il, une vigueur de jeunesse et n’ai jamais, depuis bien longtemps, connu la maladie. Les médecins sont nos plus dangereux ennemis.”

Nu comme un ver

Méva, le nouvel apôtre, a complété cette doctrine alimentaire par dés principes d’hygiène appropriés. Portons sur nous le moins de vêtements possible; couchons souvent sur la terre nue afin de nous mettre en communication plus intime avec les fluides vivifiants qui dorment en elle; exerçons dans
une égale mesure, la force et l’énergie de nos muscles et les facultés de notre esprit.

Le Matin (Paris), 23. Jahrg., 25. Mai 1906, Nr. 8125, S. 5. Online