Les patriarches d’Ascona

Ascona est une localité située à une demi-heure au-dessus de Locarno. A còte de de [sic!] l’entrée du village, à droite, sur le Monte Verità — nom prédestiné — se trouve la colonie des dégoûtés du monde et de ses osuvres, de notre civilisation et de ses perversions. Une haie d’épines, toute primitive, séparé le domaine du monde profane. Toutefois, – ô homme, ton nom est vénalité – moyennant deux francs, vous ouvrez la porte du sanctuaire. Vous y voilà!

Ces êtres extraordinaires vous entourent! Cheveux longs retenus par un ruban autour du front, un peplum fantaisiste qui vous les fait ressembler aux patriarcaux bergers des bords du Jourdain, voilà pour les hommes.

Pour les femmes, une espèce de longue chemise. Pour tous, pas de bas ni de chaussures. Comme demeure: de petites cabanes noir-brunes. Comme nourriture, des fruits et un pain grossier, des légumes quelquefois, mais sans sel, pour les malades.

Le fondateur de cette étrange secte, “hommes nouveaux”, comme ils s’appellent, est un ancien consul belge. La première fois qu’il parut sur le marché de Locarno, accompagné d’une charrette traînée par un âne, vêtu seulement d’une courte chemise, il
faillit se faire lyncher. Dès lors, il recouvrit son costume sommaire d’une espèce de robe de chambre en velours jaune orange. Et tout ce monde vit là-haut dans un dolce farniente, se la coulant douce, comme on dit d’ordinaire.

Le plus singulier de toute l’histoire, c’est que les adeptes sont nombreux. On y rencontre un ex-officier autrichien, camarade de régiment de Léopold Woefling [sic!]. On y trouve des comtesses détrônées, des prinoes décavés des vaincus de ce monde, des lassés, des rêveurs, des jeunes, et des vieux, des idéalistes, des ex-politiciens, des Francais, des Allemands, des Italiens
des Suisses, etc, etc.

Nouvellistes Valaisan, 4. Jahrg., 19. Januar 1907, Nr. 25. Online